Le gouvernement guinéen et ses partenaires désirent booster la planification familiale dans le pays. L’objectif du ministère de la santé et de l’hygiène publique est de faire passer le Taux de Prévalence Contraceptive (TPC) de 7% en 2012 à un peu plus de 22% en 2018. Un objectif ambitieux dans un pays où plusieurs facteurs freinent encore l’utilisation des méthodes contraceptives modernes. Parmi ces facteurs, la religion est souvent évoquée. Certains pensent qu’utiliser une méthode contraceptive moderne est contraire à la foi. Face à cette situation, la Guinée a décidé d’associer les religieux au combat en faveur de la planification familiale. De plus en plus, ces hommes et femmes de Dieu affirment que les textes religieux sont en faveur de l’utilisation des méthodes modernes de contraception. Un discours qui gagne petit à petit du terrain au sein de la population guinéenne composée à 85% de musulmans et à 11% de chrétiens.
La planification familiale (PF), ou le planning familial est l’ensemble des moyens qui concourent au contrôle des naissances, dans le but de permettre aux familles de choisir d’avoir un enfant. L’Organisation Mondiale de la Santé(OMS) indique qu’elle consiste à utiliser des méthodes contraceptives et à traiter l’infécondité. En Guinée, les services PF sont disponibles dans les formations sanitaires. En 2012 seules 7% des femmes âgées de 15 à 45 ans utilisent des méthodes modernes de contraception. Un chiffre que les autorités guinéennes veulent tripler d’ici 2018 avec aussi le concours des religieux de tous bords.
L’implication des religieux dans la lutte pour l’adoption du planning familial est nécessaire car la religion influence la prise de décision du croyant. Pour les croyants chrétiens ou musulmans de Guinée, la position des textes religieux conditionne leur choix d’utiliser ou pas les méthodes contraceptives.
La PF, diversement appréciée par chrétiens et musulmans de Guinée
Nous sommes à Labé. Une ville située à un peu plus de 400 kilomètres de Conakry, la capitale guinéenne. Dans cette ville du Fouta Djallon profond, l’intérêt pour la planification familiale est très faible.
« Je n’utilise pas de méthodes contraceptives parce je veux rester une bonne musulmane et je ne veux pas que cela freine ma fertilité. » nous confie Mariam Bah, la trentaine, mère de quatre enfants ».
Pour Mariam, une personne qui confesse sa foi musulmane ne peut pas utiliser les contraceptifs. En 2012, le taux de prévalence de l’utilisation des méthodes contraceptives modernes dans la région de Labé est estimé à un peu plus de 4%. Selon le plan national de repositionnement de la PF, ce taux est l’un des plus faibles du pays. En effet, certains prédicateurs estiment que la planification familiale est un frein à la croissance démographique des musulmans. Selon Mohamed Doumbouya, enseignant et père de deux enfants, les méthodes contraceptives sont essentielles dans l’épanouissement des familles.
« Quel intérêt a – t – on à faire des enfants sans aucun contrôle avec des moyens sûrs et efficaces. Je suis musulman croyant et pratiquant. Je crois fermement que la PF n’affecte pas ma foi » déclare fièrement Mohamed Doumbouya.
Un rapport de Population Référence Bureau (PRB) publié en 2005, indique que les opposants à la planification familiale considèrent que plus les musulmans seront nombreux et plus élevée sera leur puissance. Selon eux, la religion dicte une population nombreuse et tout échec en ce sens constitue une déviation aux préceptes musulmans.
« Le prophète a dit, multipliez-vous et je serai fier de vous. Mais quand le prophète disait cela, soyez sûr qu’il pensait à une population bien éduquée, en bonne santé. La PF fait du bien à la santé de la femme, donc ce n’est pas contraire à la foi musulmane » déclare Elhadj Facinet Sylla, membre du réseau des Associations Islamiques en Population et Développement de Guinée et de la coalition des organisations de la société civile pour la PF.
Les mêmes propos se retrouvent dans la bible. Dans le livre de génèse, les croyants sont invités à se reproduire, se multiplier et à remplir la terre. Faut – il alors aligner les naissances chaque année pour plaire à Dieu ? Non répond le révérend Joseph Togna Doré de l’Alliance des Eglises et Missions Evangéliques de Guinée (AEMEG).
« Nous ne sommes pas des êtres primaires pour faire des enfants successivement sans se reposer, sans espacer. La famille est un espace de dialogue où le mari doit se préoccuper de la santé de sa femme et vice versa » souligne – t – il.
A Conakry, les femmes sont moins réticentes à l’utilisation des contraceptifs. Elles décident parfois même à l’insu de leur mari d’utiliser une méthode contraceptive. Oumou Barry est mariée depuis 5 ans. En cinq ans, elle a fait 3 enfants. Son mari, issu de la communauté Wahabite, une aile conservatrice de l’islam, lui a interdit d’utiliser les contraceptifs. Sous son fin voile couvrant totalement son visage et sa robe longue qui protège son corps, se dessine une silhouette de femme révoltée et décidée à sauver sa vie.
« Est-ce que Dieu qui m’a créée veut que je meure pour laisser mes enfants orphelins ? Je ne crois pas » murmure t – elle sur un ton à peine audible. Dans son regard, se lit aisément le désir de se protéger malgré les interdits de son mari.
« J’utilisais une méthode contraceptive avant mais j’ai arrêté » affirme Olga Haba, la trentaine, mère de 3 enfants. « Pour moi, les contraceptifs ne sont pas en contradiction avec ma foi » conclut – elle. Olga est donc favorable à la planification familiale. Mais elle reconnaît qu’il existe des religieux chrétiens qui lui ont conseillé d’éviter les contraceptifs.
Au sein de la communauté des croyants de Guinée, chrétiens ou musulmans, les avis restent donc divergents sur l’utilisation ou non des contraceptifs. Si certains pensent que cela n’affecte en rien leur foi, d’autres par contre expriment des réserves. Des réserves qui contribuent à maintenir élevé le taux de mortalité maternelle. Environ 710 enfants meurent sur 10 000 naissances vivantes dans le pays.
Face à cette situation, des religieux s’engagent
« Il est très difficile de parler de planification familiale avec certains religieux mais nous avons de plus en plus des imams qui sont acquis à cette cause » explique Elhadj Facinet Sylla, de la coalition des organisations de la société civile pour la planification familiale. Ces leaders religieux sont présents dans les séances de sensibilisation, les campagnes PF et dans les médias pour amener les populations à comprendre sur la base des saintes écritures, l’importance de la PF.
Ces religieux s’invitent chaque jour dans le débat en faveur de l’utilisation des contraceptifs. Ils estiment que l’option des méthodes contraceptives modernes n’est pas en contradiction avec la foi. Ces religieux utilisent leur mandant divin pour militer en faveur de la PF en vue de sauver des vies. Barry Taïrou islamologue et vice doyen à l’université de Labé est sur cette longue liste de religieux qui prennent parti pour la PF parfois malgré les menaces des conservateurs. Il déclare que l’utilisation des méthodes contraceptives modernes ne contredit en rien la charia islamique. Même son de cloche chez les leaders religieux chrétiens de Guinée.
« Je suis de ceux qui pensent que si les conjoints sont d’accord et qu’ils ont décidé librement d’adopter la planification familiale, Dieu lui-même est d’accord avec eux. Je n’ai vu nulle part dans la bible où l’utilisation des contraceptifs est un péché condamnable » explique le révérend Joseph Togna Doré, pasteur et président de l’AEMEG.
Le plan de repositionnement de la planification familiale élaboré en 2013 tend vers sa fin. Ce plan à travers lequel plusieurs religieux ont été formés et impliqués dans la sensibilisation sur la PF, s’étend sur une période de 5 ans. Dans les lieux de culte, la nécessité pour les femmes de faire librement recours aux méthodes modernes de contraception est au cœur des sermons et prédications. Les couples mariés sont encouragés à se planifier pour avoir une famille qu’ils peuvent soutenir. Les célibataires sont sensibilisés sur l’abstinence jusqu’au mariage.
L’action des religieux est aussi visible au sein de la coalition des organisations de la société civile. Ils interviennent notamment dans la mise en œuvre des activités inscrites dans le plan d’action de repositionnement de la PF affirme le docteur Mamady Keïra, secrétaire général de la coalition.
« La coalition est une structure faitière et en tant que telle, elle est composée d’organisations qui font la promotion de la PF dont celles de religieux. Les religieux sont avec nous et nous aident vraiment à faire avancer cette cause », poursuit – il pour expliquer l’impact considérable du travail des religieux.
Afiwa Mata Ahouadjogbé.