L’utilisation des produits contraceptifs à l’épreuve des croyances religieuses en Guinée

L’utilisation des produits contraceptifs à l’épreuve des croyances religieuses en Guinée

Fatoumata Binta Bah a été mariée en 2006 et vit depuis cette époque dans la ville de Labé, située à un peu plus de 400 kilomètres de Conakry, la capitale guinéenne. Elle venait d’avoir ses 15 ans, elle était donc mineure. 16 ans plus part, elle affirme avoir porté 9 grossesses. Elle n’a jamais utilisé de produits contraceptifs pour l’espacement des naissances, qu’elle estime contraire à sa foi. Deux de ses enfants sont morts quelques mois après leur naissance, alors que 7 sont vivants.  Un parcours de maternité, parsemé de défis et de risques pour la santé de cette jeune dame de 29 ans qui semble pourtant bien fière son choix.

« Je n’avais pas le choix, mon mari est fils unique pour sa mère et il fallait que je lui donne beaucoup d’enfants » affirme Fatoumata Binta Bah, pour justifier son choix de faire plusieurs grossesses rapprochées. Entre ses 9 grossesses, on note moins de deux ans d’écart. Les professionnels de santé affirment pourtant « qu’un intervalle court entre les grossesses peut provoquer des complications dont des naissances prématurées, des décès maternels… ».

Si pour ses premières grossesses, cette jeune dame s’en est sortie sans grande difficulté, cela n’a pas été évident pour les deux dernières. Elle a frôlé la mort. « Au début j’accouchais facilement » témoigne t – elle, un sourire aux lèvres. « Mais durant mes deux derrières grossesses, j’ai failli y rester ; maintenant j’ai de terribles maux de dos, j’ai vraiment souffert » explique Fatoumata Binta Bah, en se remémorant cette période difficile de sa vie. Mourir en donnant la vie est une situation qui peut être évitée. En Guinée, le taux de mortalité maternelle est de 550 décès pour 100 000 naissances vivantes selon l’EDS de 2018. La planification familiale demeure une stratégie efficace pour améliorer cet indicateur. En effet, la planification familiale permet de réduire de 40% la mortalité maternelle selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Mais face aux nombreuses oppositions à la planification familiale, le taux de prévalence contraceptive en Guinée demeure bas (11%), et les besoins non satisfaits en PF s’élèvent à 22%. Les oppositions à la planification familiale en lien avec la foi des hommes et des femmes en Guinée, demeure un réel défi.

Peut – on vivre pleinement sa foi et utiliser les produits modernes de contraception ?

Pour lever certaines barrières à l’utilisation des produits modernes de contraception en Guinée, cette question mérite d’être répondue aussi bien pour les musulmans, chrétiens et autres. En Guinée, près de 84% de la population est musulmane, moins de 11% sont des chrétiens, et les autres sont des religions traditionnelles. Chaque citoyen guinéen dans sa position, mérite de savoir ce que sa foi recommande concernant la planification familiale afin de briser les barrières.

Fatoumata Binta Bah, est l’exemple des croyants qui pensent que la foi ne peut se pratiquer correctement avec l’option de la planification familiale. Occupée dans sa cuisine et entourée de trois de ses enfants, Fatoumata Binta Bah indique « qu’elle ne regrette pas d’avoir choisi de faire ce nombre d’enfant sans espacement de naissance par l’utilisation des produits contraceptifs ». Poursuivant sur un ton ferme, elle déclare : « cette histoire de planification familiale ne m’intéresse pas ; quand Dieu me donne des enfants, j’accepte ».  Comme Fatoumata, de nombreux croyants, musulmans ou chrétiens, sont opposés à la planification familiale car, indique Fatoumata, « Il y a des femmes qui cherchent des enfants et n’en trouvent pas, pourquoi vais-je bloquer cette grâce, Dieu me punira ; tant que Dieu m’en donnera, je ferais des enfants ». Un point de vue soutenu par Alhassane Bah, Epoux de Fatoumata Binta Bah. Il affirme que « c’est avec à l’arrivée des blancs que tous cela a commencé, Nous, on est africain, les enfants constituent notre richesse ».

Et pourtant en Islam, la planification familiale n’est pas interdite. Selon Elhadj Thierno Boubacar Baldé, le Secrétaire Préfectoral des Affaires Religieuses de Labé, la planification familiale se faisait même au temps du prophète Mohamed (PSL). « Les femmes allaitaient leurs bébés pendant 2 ans et si leur mari voulait avoir des rapports intimes avec elles, il utilisait la méthode de retrait pour éviter qu’elles tombent de nouveau enceinte » explique-t-il avant de préciser « donc même si les méthodes n’étaient pas les mêmes, cela signifie que l’Islam recommande l’espacement des naissances ».

« Si les époux sont en accords pour espacer les naissances avec des contraceptifs modernes » Elhadj Thierno Boubacar Baldé ne voit pas de problème de conflit avec la foi. Il estime que le couple dont les conjoints partagent la foi musulmane, peut utiliser tous les moyens à leur disposition. Mais cet avais n’est pas toujours partagé par tous les leaders religieux musulmans du pays.  Ainsi, au sein de la communauté musulmane de Guinée, on trouve bien des personnes qui pour et d’autres qui sont contre l’utilisation des méthodes modernes de contraception.

Le gouvernement à travers le Secrétariat Général aux Affaires Réligieuses a permis l’avènement de certains réseaux de religieux encourageant la PF et démontrant qu’elle n’est pas en opposition avec la pratique de la foi Musulmane.

Chez les chrétiens, on retrouve bien les deux groupes. « Je suis chrétien catholique, et je prône la planification familiale ; mais je sais que le catholicisme ne l’autorise pas », estime Dr Robert Sarah Tambalou, membre de la Fondation Santé et Développement durable. Poursuivant, il indique que « les protestants et les évangéliques sont plus tolérants sur la question ».

Evoluant à la tête de l’Association des Eglises et Missions Evangéliques de Guinée, l’Evêque Joseph Togna Doré explique que la planification familiale « permet d’avoir des enfants en bonne santé et que l’on peut prendre en charge ».

Aller au-delà des discours

Les discours des leaders religieux, aussi bien musulmans que chrétiens ou animistes, sont souvent ambigus. « Il y a un discours en public, il y a un discours dans le cercle familial ou privé », indique Hadiatou Yaya Sall, Formatrice en journalisme Santé, activisme sur les questions de santé sexuelle et reproductive. « Une fois, nous avons invité un leader religieux dans une émission portant sur la planification familiale ; hors antenne, il était pour mais quand nous avons commencé l’émission, il avait un tout autre avis » témoigne Fatoumata Yarie Bangoura, Journaliste radio.

Asmaou Diallo

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